La migration nocturne de mai 2024
Le mois de mai étant derrière nous, je me permets de renouer avec ce blog, avec un bilan de la migration printanière 2024, plus particulièrement la migration nocturne, celle choisie par la majorité de nos oiseaux.
Depuis quelques années, je m’intéresse à l’analyse de données acoustiques, particulièrement les cris que font plusieurs espèces en migrant, la nuit. Ces Nocturnal Flight Calls (ou NFCs pour les accros), généralement très succints et aigus, permettent souvent d’identifier l’espèce. De nombreux ornithologues sont capables d’identifier plusieurs espèces la nuit. D’autres, comme moi, ne sont pas doués en la matière, particulièrement en raison de la perte d’acuité auditive dans les très hautes fréquences (> 7000 Hz).
Mais depuis la publication de l’outil NightHawk en 20231, il est possible d’identifier de manière automatique des milliers de cris d’oiseaux provenant d’enregistrements acoustiques. NightHawk utilise les mêmes outils d’intelligence artificielle que Merlin que vous connaissez probablement, mais travaille à l’échelle des millisecondes plutôt que des secondes, l’optimisant ainsi pour ces cris qui durent souvent moins de 100 ms (1/10 seconde). NightHawk n’a pas d’interface “user-friendly” et requiert une certaine habileté avec les ordinateurs. Mais une fois installé et fonctionnel, ce logiciel basé sur le langage informatique Python permet de lire des répertoires entiers de fichiers audio et pour chaque fichier produit une table de données csv (lisible dans Excel) avec 1 ligne pour chaque détection de cri, indiquant l’ordre, la famille, voire l’espèce, chacun avec une probabilité.
Ce printemps j’ai installé des enregistreurs autonomes2 à 6 endroits répartis entre Québec et Tadoussac. Ils ont généré 1332 heures d’observation que j’ai réparties en autant de listes eBird (je vous fais grâce de mon processus d’automatisation). Vous en trouverez peut-être quelques-unes en explorant eBird, elles sont associées à mon compte secondaire eBird “André Desrochers ♪” (avec la note de musique).
J’ai pas fini d’analyser ces données, mais voici 2 résultats préliminaires qui pourraient vous intéresser. Le premier est la chronologie du mois de mai, qui montre qu’on a eu 4 ou 5 pics assez synchrones de Québec (Maizerets) à Tadoussac. Est-ce que ces pics correspondent à vos observations sur le terrain? En tout cas, ils ne correspondent pas à ce que je découvrais l’automne dernier (voir blog du 25 octobre 2023).
Les nombres dans la figure ci-dessus n’incluent que les passereaux, donc pas de limicoles, d’oies, etc. Aussi, je n’ai inclus que les identifications avec une probabilité supérieure à 0,95. Avec ces contraintes je constate que les nombres de cris par nuit sont environ 10 fois moins que ce qu’on obtient à l’automne, notamment en août. Il y a moins d’oiseaux le printemps bien sûr, mais une telle différence suggère qu’ils ne passent pas aux mêmes endroits ou qu’ils crient simplement moins.
J’ai souvent lu que la migration a une intensité maximale juste après la tombée de la noirceur. Mais cela ne semble pas s’être produit avec les données que je présente ici.
On voit que les nombres de cris de migration nocturne montent en flèche dès la tombée de la nuit, et la tendance est légèrement à la hausse jusqu’à l’arrivée de l’aube. Est-ce un patron qui se répète chaque saison? Si oui, comment expliquer cela?
Nous sommes encore très loin de comprendre ce qui se passe avec la migration nocturne au Québec. Par exemple, jusqu’à quel point les nombres de cris sont un reflet fidèle du nombre d’oiseaux qui passent? On imagine que le nombre de cris qu’un oiseau émet à chaque minute dépend d’une foule de facteurs comme la météo, les lumières urbaines, le nombre d’oiseaux en vol dans le secteur, etc.
Une des manières de démêler tout cela est de tenir compte de l’emplacement afin de documenter en détail la variation spatiale des évènements de migration nocturne. Je compte bien travailler sur cela. Une autre approche est d’utiliser les technologies émergentes en détection infrarouge, ce que j’ai fait ces dernières semaines. Je reviendrai là-dessus d’ici quelques semaines, donc à suivre!
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