Tous ces cris qu’on entend la nuit
La migration d’automne tire déjà à sa fin, avec la vaste majorité des migrateurs déjà dans leurs quartiers d’hiver ou en route. Plusieurs de ces oiseaux migrent la nuit, et se manifestent par des cris subtils que les ornithologues avertis remarquent et identifient même parfois. De nouveaux outils risquent de révolutionner notre compréhension de ce phénomène.
Parmi ces outils, BirdCast d’eBird est désormais incontournable. Cet outil basé sur les radars météo m’a coupé le souffle à quelques reprises cet automne, avec des prévisions de nuits de migration de plusieurs centaines de millions d’oiseaux, projetées sur des cartes des États-Unis. Ces cartes donnent l’impression que la densité de migration est assez homogène à échelle fine (états, comtés, par exemple). Ainsi, si ça migre fort dans l’état de New York, ça devrait aussi migrer fort dans les états voisins (New Hampshire, Massachusetts, etc.). Mais est-ce vraiment le cas? Prenons un petit détour avant de répondre.
Pour mesurer l’intensité de migration nocturne à fine échelle avec des birders, il faudrait en déployer une armée. Mais il n’y a pas beaucoup de birders aussi motivés et compétents pour identifier tous ces “seep”, “bzzz”, “chip”, “chit”, “quip”, etc. Heureusement, la technologie nous offre des solutions. D’une part, il existe depuis plusieurs années toute une gamme d’enregistreurs dédiés à l’écoute de la nature, par exemple les dispendieux SongMeters de Wildlife Acoustics, le h4n de Zoom, le Bar-LT de Frontier Labs, et plusieurs solutions bon marché. Avec ces appareils, facile d’accumuler des milliers d’heures d’enregistrements. Mais quand vient le temps de les analyser, on fait quoi?
L’approche traditionnelle est de s’asseoir avec de bons écouteurs, siroter un café et se taper de longues écoutes de vide sidéral, ponctuées de moments excitants. Je l’ai fait souvent, plusieurs le font encore, et c’est un travail de moine. Mais en 2023 est apparu un nouveau joueur, Nighthawk, en quelque sorte une adaptation de Merlin aux cris nocturnes. Pour les data scientists comme moi, Nighthawk a l’avantage de livrer ses résultats sous forme de tableaux (csv) permettant des analyses. Pour chaque fichier audio, on obtient un tableau avec 1 ligne par détection de cri, et des colonnes présentant l’ordre, la famille et l’espèce proposée, chacun avec une probabilité.
Il est possible d’automatiser le processus et de faire rouler NightHawk sur des centaines de fichiers audio. Avec un bon ordinateur il faut ~ 15 minutes pour analyser 1 heure d’enregistrement, et si vous avez plusieurs cœurs de calcul dans votre ordinateurs, il est aisé de faire rouler 4 processus ou plus en même temps. J’ai fait cela dans les derniers mois, avec quelques milliers d’heures d’enregistrements ce qui m’a permis de générer quelque 6500 listes eBird de cris nocturnes, avec le protocole Night Flight Calls (NFC).
En 2023 je voulais voir si les forts passages migratoires correspondent dans le temps d’une localité à une autre. Voici les résultats pour 2 localités: la pointe de Maizerets et Tadoussac (Colline de l’anse à l’eau) :
Il semble donc que les fortes nuits à Tadoussac ne coïncident pas avec celles de Québec. Est-ce la topographie, l’estuaire, la météo locale ? Matière à réflexion ! Vous avez remarqué la forte nuit à la mi-août - allez voir par exemple cette liste eBird pour des détails. Écoutez l’extrait vidéo de “Passereau sp.” au bas de la liste et partagez vos impressions!
PS - Pour en savoir plus, écoutez cette entrevue avec votre humble serviteur
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